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A l'ombre du feu {Chapitre 29}

Publié le par danouch

                             

                                        Hebergeur d'image

 

Musique => Ludovico Einaudi - Una Mattina

 

 

______________________________

 

 

 

- Ouvrez la porte.

- Interdiction d'entrer à l'intérieur, je suis désolé, si vous n'êtes pas de la famille ne restez pas là.

- Je suis son amant. Vous comprenez ?

- Vous voulez que je fasse venir la sécurité ?

- Je ne partirai pas.

- Mademoiselle, appelez la sécurité.

Le médecin campe devant la porte, le regard aussi ferme que le mien.

- Je ne vous laisserai pas entrer.

- Et moi je vous promet que vous allez le faire.

- Vous me menacez ?

- Pas encore.

- Laissez le passer Docteur, il est avec moi.

 

Dans une chaise roulante, un vieil homme s'approche de nous un grand sourire sur les lèvres. Totalement chauve et le regard azuré derrière ses lunettes, il s'arrête devant le médecin qui abdique à contre cœur. Je n'ai pas le temps de me réjouir de ma victoire que le vieil me frappe le dos avec force.

 

- Tu es aussi grand que m'a dit Lou ! Tu me diras, sur ma chaise, tout le monde à l'air grand !

 

Le vieil homme rit à sa propre plaisanterie puis il ouvre la porte de la chambre et s'y engouffre sans attendre. Un peu pris au dépourvu, je le suis après quelques secondes de réflexion. Il vient directement s'installer à droite de Lysandre, attrapant sa main le regard plein de mélancolie.

Étendu dans ses draps blancs, le visage et le corps recouvert de divers bandage et pansement j'en ai mal au cœur. D'un autre côté je ne peux contenir la joie que me procure sa vue, sa présence, le bruit habituellement agaçant de son cœur sur les machines de contrôle. A mon tour je souris, peut être un sourire encore trop triste mais je souris. Ca fait longtemps que ça ne m'est pas arrivé. Je prends une chaise et m'assoit de l'autre côté, plus détendu, serein que jamais.

Je l'ai retrouvé, je l'ai enfin retrouvé et c'est ce qui compte le plus à mes yeux.

 

- Il a toujours eu le chic pour se mettre dans le pétrin...Déjà enfant il était toujours mêler aux bagarres et autres bêtises. J'aurai peut être dû l'engueuler plus souvent, lui faire la leçon mais quelle leçon peut on donner à un enfant qui a perduré d'affiler sa mère et son père ? J'ai été faible...Absent. J'avais beau le voir tous les jours, le petit a grandi sans jamais discuter de ses problèmes ni de sa vie avec quiconque. Alors tu imagines comme j'étais heureux quand il est venu il y a plus d'un mois de ça ! Me dire qu'il était tombé amoureux. Le vieil homme secoue la tête. J'en ai pas cru mes oreilles, mon petit Lou qui vient me parler de ses problèmes de cœur. Il m'a parlé de toi pendant presque une heure sans s'arrêter... « Je l'aime Gran'pa mais je crois que jamais il ne m'aimera. » Il était malheureux comme les pierres et ça me faisait sourire. Il était tombé dans le plus gros pétrin de sa vie...Pas facile d'être amoureux mais on passe tous par là un jour. Puis il est revenu, encore plus triste et cette fois il a juste dit « C'est terminé Gran'pa. ». J'avais de la peine pour lui mais tu es finalement venu le voir et je savais que tu l'aimais dès l'instant où je t'ai vu à travers la fenêtre. Ca allait bien se finir...Oui, bien se finir...

Il se penche d'avantage sur Lysandre.

« J'en ai jamais douté... » Dit il comme s'il lui parlait directement.

- Vous êtes son grand père, n'est-ce pas ? Je demande.

- Ross Dunval, mais tu peux m'appeler Ross.

- Un soir j'avais vu un homme avec lui, devant un hôtel, il semblait bien le connaître, je pensais que ce que c'était lui, son grand père.

- C'est possible. Il y a un an, son grand père paternel est venu s'installer dans la région mais Lysandre a toujours refusé de le voir.

- Pourquoi ça ?

- Il pourra te le dire lui même.

- Vous parlez trop fort...Chuchote une voix sortie d'outre-tombe.

 

J'en sursaute malgré moi. Ses yeux papillonnent lentement et ses lèvres sèchent remuent à mesure qu'il prend conscience de la réalité. Je me raidit brusquement, tremblant pour une raison inconnue. Son visage se tourne d'abord vers son grand père qu'il gratifie d'un sourire tendre. Il serre sa main à son tour.

 

- Je te dis jamais rien parce que tu sais pas garder un secret.

- C'est vrai Lou....C'est vrai.

- Où est Gran'man ?

- Elle est partie t'acheter une tarte aux abricots et de la glace à la vanille.

- J'aime pas la vanille.

- Menteur ! S'offusque faussement le grand père. Bon d'accord, c'est moi qui adore ça mais ne lui dit rien !

Lysandre rit légèrement avant de grimacer de douleur.

- Le médecin a dit que tu avais quatre côtes cassés et quelques contusions Rien de grave mais ils ont eu peur pour ta blessure à la tête en revanche.

Il affirme silencieusement et passe sa main libre sur son front.

- J'ai l'habitude.

Le grand père sourit.

- Je vais vous laisser entre vous. C'est pas que ça me gêne de vous voir vous bécoter mais presque.

 

Il embrasse une dernière fois son petit fils puis il quitte la pièce, me faisait un petit signe au passage. Je le suis du regard, quelque part plus pour éviter celui de Lysandre que je sens posé sur moi depuis quelques minutes. Soudainement je sens qu'il se lève, je m'apprête à l'arrêter quand il s'approche brusquement de mon visage, me coupant le souffle. Ses doigts attrapent une mèche de cheveux contre ma nuque et la caresse d'un air nostalgique.

 

- Je t'avais dit que tu étais mieux avec les cheveux coupés.

 

Ca frappe contre ma poitrine, ça fait mal et ça me tort l'estomac, me serre la gorge. Je franchis les quelques centimètres qui nous sépare sans attendre, lui volant un profond baiser, entraînant sa langue dans une valse de retrouvaille endiablé. Sa main se pose sur mon épaule, puis l'autre sur ma joue redescendant sur mon cou.

Je m'envole. Le temps s'envole et tout disparaît. J'ai l'impression de flotter et de ne jamais avoir su vraiment ce qu'était le bonheur. J'ai envie de rire, de sourire mais aussi de pleurer. Je suis à bout de souffle, à bout de nerfs mais ça me fait tellement de bien. Lysandre recule, le front appuyé contre le mien et nos lèvres s'effleurent encore. Il sourit, les yeux brillant. Je parcours son visage du bout des doigts comme si c'était la première fois. Comme si je voulais être sûr que ce n'est pas un rêve cette fois.

 

- Je savais que tu viendrais me chercher.

- Je suis tellement désolé Lysandre de t'avoir entraîné là dedans. Si tu savais comme je m'en veux.

- De quoi tu parles ? C'est pas ta faute.

- Bien sûr que si...

- Tais toi. T'es stupide. Mais ça c'est pas nouveau. Je t'aime quand même.

- Alors c'est toi le plus stupide.

 

Il se met à rire de nouveau, d'un rire cristallin et malgré les douleurs, il a continué de rire. Son grand père est à nouveau entrer mais cette fois ci, il n'est pas seul, la grand mère de Lysandre est avec lui et comme toujours elle me foudroie du regard. J'ai pensé à les laisser seuls, en famille, mais Lysandre m'en a empêché.

 

- Gran'pa, Gran'man, voici Andreï. L'homme dont je suis amoureux.

 

Lysandre a l'air si sérieux quand il dit ça. Presque trop sérieux. Une sensation étrange me parcourt la peau, je me sens extrêmement gêné, ce qui est plutôt rare chez moi mais je n'ose même plus dire un seul mot.

 

- Comment peux tu lui pardonner ! Après tout ce qu'il t'a fait ! S'écrie la vieille femme.

- Man'..., soupire le grand père.

- Tu as tellement souffert ! Je peux pas l'accepter !

- Gran'man, reprend Lysandre. Tu n'as rien à accepter.

 

Elle se mord les lèvres, courroucée, m'assassine à nouveau regard avant de sortir en furie de la chambre, jetant la tarte au sol au passage. Le grand père soupire bruyamment et porte à son petit fils un regard plein de compassion.

- Elle finira par comprendre. Tu verras.

 

Devant l'air abattu de Lysandre je lui serre un peu plus la main, il redresse aussi tôt les yeux vers moi et me sourit. Jamais je ne me suis senti autant à ma place et aimer, j'aimerai m'excuser auprès de sa grand mère car même si elle le désire ardemment, jamais plus je ne le quitterai.

 

* * *

 

J'ai été viré de la chambre à la fin de la journée par les infirmières, j'ai insisté longuement pour rester mais c'est Lysandre qui a fini par me repousser. D'après lui mon visage est devenue beaucoup trop effrayant, en particulier à cause des grosses cernes sous mes yeux. A contre cœur je suis donc sorti de l'hôpital et rentrer chez Lucius.

 

- Tu le revois demain et après demain, et encore après. Profites un peu de la dernière soirée que tu passes sans lui. Bientôt tu regrettera de ne plus pouvoir le faire. Se moque Lucius.

- C'est peut être aussi la dernière soirée qu'on passe entre nous. Nous dit Milos en buvant son café.

- Pourquoi tu dis ça ? Demande Moïra.

- Lysandre et Andreï vont sûrement partir loin d'ici. Complète Lucius. Pas vrai ?

- C'est vrai que j'en ai toujours envie. Partir vivre au soleil.

- Et moi je pars pour notre pays natal. Dit Milos. J'aimerai essayer de voir si je peux retrouver nos parents.

- Tu es sérieux ? Je demande incrédule.

- Bien sûr. Tu ne te souviens peut être pas assez d'eux pour que ça t'importe mais moi, j'ai toujours voulu savoir pourquoi.

- Ca ne va que te faire souffrir un peu plus Milos. Je lui dis douloureusement.

- J'ai besoin de savoir.

 

Il semble déterminé et quelque part ça m'attriste parce que je ne sais pas quand je le reverrai. Ni quand je reverrai Lucius. Il préfère rester ici, d'après lui c'est la meilleur protection contre Casey car ici il sera surveillé par la police, s'il quitte le pays il ne sera jamais sûr d'être tranquille. En tout cas c'est ce qu'il croit.

Alors que nous nous rendons tous compte que c'est effectivement sans doute les deniers jours que nous passons ensemble avant longtemps, le silence gagne de la place et la morosité plane sur nous comme un vieux nuage gris. Moïra en a aussi perdu son sourire, elle qui est essaie toujours de nous remonter le moral. Lucius est devenu si sérieux qu'il ne regarde même plus dans notre direction, une bière à la main, il a le regard perdu en direction de la fenêtre et de la nuit qui couvre la ville. Milos semble contempler les dernières gouttes de café dans sa tasse avec une certaine nostalgie, sans doute que comme moi, il se remémore chacun des événements, chaque instant partagé mais aussi la joie de savoir enfin tous ça derrière nous. Une joie discrète, tempérée par cette séparation imminente. Une séparation qui me compresse la poitrine mais qui me donne aussi une nouvelle vision de l'avenir.

J'ai l'impression que le soleil a finalement réussi à fait taire la pluie, que je peux regarder le ciel tout en reprenant mon souffle en toute liberté. C'est le calme plat. C'est le véritable dénouement. La vie dont j'ai toujours rêvé inconsciemment. Alors que je marche jusqu'à elle, je me sens enfin dépourvu de mes chaînes.

 

Milos est le premier a rompre ce mutisme, il se lève, nous le fixons tous, j'ai la boule au ventre et une véritable appréhension. J'ai l'impression que c'est un au revoir et même si je sais qu'il nous reste un peu de temps avant de définitivement nous quitter, c'est ici et maintenant que nous réalisons ces adieux. Il rentre simplement chez lui, il va simplement dans son appartement et je l'appellerai demain ou après mais c'est maintenant qu'il me quitte.

Je l'accompagne, j'en profite pour sortir une cigarette étant donné le refus catégorique de Lucius de me laisser fumer à l'intérieur. Milos porte sa veste au bras et inspire profondément en regardant de chaque côté de la rue avant de revenir sur moi. Le poids de ces adieux pèsent décidément bien lourd sur nos épaules. Alors que je viens à peine de le retrouver, sans que je l'ai vraiment désiré, le voilà qui me quitte à nouveau.

J'ai à nouveau six ans et je l'entends crier mon nom, pleurer pour me retenir. Pourquoi est-ce bien plus douloureux maintenant ?

 

- Je suis heureux pour toi, Mali..., dit il avec une certaine fierté dans le regard. Tu as réussi.

- Toi aussi tu es libre maintenant. Est-ce que ça te convient vraiment ?

Il hausse les épaules.

- D'une certaine façon. C'est un peu étrange mais je crois qu'au fond...Je n'ai jamais cessé d'espérer.

Malgré tout je ressens encore une légère tristesse que je n'arrive pas à expliquer. Comme un soupçon de regret.

- Est-ce que tu...Non rien.

- De quoi ?

Je me sens ridicule et en même temps, c'est la première chose qui m'a traversé l'esprit.

- Est-ce que tu ressens quelque chose pour... Micheal ?

 

L'espace d'un instant j'ai vu la surprise dans ses yeux mais pas le genre de surprise lorsque l'on raconte une ineptie, plutôt la surprise d'une vérité. Celle qui nous gêne et qui nous fait palpiter le cœur, celle qui nous met à nu sans le vouloir. Cette surprise n'a pas durée pourtant, aussi vite qu'elle est venue, elle a disparue.

 

- Ne dis pas n'importe quoi. Il me dit alors faiblement.

- Je sais que lui...T'aime.

Ca me paraît difficile à dire. Je m'arrête quelque seconde puis je reprends.

« Et je pense que tu le sais déjà. »

- Qui te l'a dit ? Si c'est Khayman tu ne dois pas le croire, il est simplement jaloux de l'attention qu'il me portait.

- Ce n'est pas Khayman, enfin...Il me l'a dit aussi mais ce n'est pas lui qui me l'a fait croire. C'est Micheal lui même qui me l'a dit et je suis...Sûr qu'il ne mentait pas. Tu l'as dit toi même...

- Il ne ment jamais, je sais.

 

Milos est visiblement gêné. Il cherche ses mots tout en cachant parfaitement ses émotions. Il est bien plus fort que moi à ce jeu là et j'ai presque envie de lui tirer mon chapeau mais nous sommes liés par le sang. Jamais je n'aurai cru dire ça un jour mais ce lien fait toute la différence, il fait que même dans le silence, je peux ressentir une multitude d'émotions qui le touchent. Des émotions infimes aux yeux des autres mais qui me sautent aux yeux, à moi.

Serai-ce...De la peur ? Pourquoi aurait il peur ?

 

- Maintenant que tu es libre Milos, essaies d'agir sans jamais avoir de regret. Je lui dis avec le sourire.

 

Il ne me répond pas mais relève aussi tôt le regard sur moi. Je ne sais pas s'il comprend ce que j'essaie de lui dire mais je m'arrête là pour ce soir. Je n'ai pas de leçon à lui donner et il est le seul qui peut décider.

Une dernière accolade chaleureuse, un « je t'aime » murmuré, lourd de sentiment et le voilà qui me tourne le dos pour s'éloigner.

 

En rentrant, j'ai toujours ce poids sur le cœur, ce nœud à la gorge, Lucius me voit immobile devant la porte, la tête baissée et vient aussi tôt me prendre dans ses bras. J'ai l'impression que ça fait une éternité qu'il ne m'a pas pris dans ses bras de cette façon, que ça fait une éternité que je n'ai pas ressenti cette joie de l'avoir contre moi. Il n'y a plus inquiétude, plus de tension, plus de colère, il n'y a que son amour pour moi. Alors qu'il me serre d'avantage, j'ai du mal à reprendre mon souffle et ouvrir les yeux. Je revois toutes nos disputes, toutes nos soirées, nos rires, nos regards complices. Je revois le regard de Milos, ma rencontre avec lui, cette impression d'avoir retrouvé une partie de ma vie. Je revois la pluie, l'orage, le dessin déchiré, la mort de Rade, mes cheveux coupés. La honte dans les yeux de mes parents quand nous nous sommes rendus compte de notre destin.

Je revois le corps blessé de Lysandre, dégoulinant de pluie et de tristesse. Je revois son regard gris, cette rage de vivre, de se battre contre le monde. Je revois son inquiétude, son regard bienveillant, son amour grandissant.

Je revois Casey. Son écharpe rouge et son sourire aux couleurs du soleil. Je revois ma chute, mon désespoir et la débauche. Le trou béant dans ma poitrine que l'amour d'un frère ne peut pas combler. Ma rencontre avec Lucius, la première fois qu'il m'a pris dans ses bras. A chaque fois que c'était le cas, je sentais ce précipice s'agrandir, prendre forme. A chaque fois j'essayais de l'oublier. Il m'a fallu ouvrir les yeux grâce au brasier d'un garçon bagarreur, grâce à la peur douloureuse de le perdre que je ressentais. Mon cœur était déjà enchaîné et ces chaînes étaient bien plus solides que celles de Casey.

Maintenant Lucius m'enlace et le précipice a presque disparu mais il y a un autre vide, un autre sentiment incompréhensible qui me déchire la poitrine. Le sentiment d'avoir été trahis, trompé, d'avoir perdu le dernier espoir d'un enfant qui avait cru en cet homme à l'écharpe rouge et qui avait essayé de tout son cœur de l'aimer. Comme on aurait aimé un père.

 

Mes larmes ne cessent de se déverser, comme jamais encore elles ne se sont déverser. Je pleure comme un enfant, de peine, de joie, de fatigue. Je pleure sans que je réussisse à m'arrêter et Lucius ne ma lâche même pas un seul instant. C'est la fin d'une période, la fin d'une époque. C'est la fin d'une histoire trop longue. C'est aussi le début d'une autre.

Lucius m'a encore une fois veillé toute la nuit, nous avons discuté de tout et de rien jusqu'à l'aube, jusqu'à ce que les premiers rayons du soleil aient traversé son salon et nous aient fait plisser les yeux.

 

 

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